"On asphalt we grow"

Robin Tutenges

Réalisé avec le soutien du CNAP, commande Performence

Depuis le début de l’invasion russe,  la jeunesse ukrainienne étouffe, prise au piège d’une guerre à laquelle elle ne peut échapper, vivant quotidiennement au rythme des accablantes nouvelles du front, sous la menace d’un enrôlement forcé à même la rue ou d’une frappe aérienne russe. Au milieu du chaos et des angoisses, la pratique du skateboard en Ukraine a pris une dimension singulière : celle d’une échappatoire. D’un sport que l’on pratiquait entouré de ses «homies», le skateboard est devenu une lucarne sur la liberté; un remède aux traumatismes de la guerre, un soutien psychologique devenu vital pour une jeunesse déboussolée. 

À lui seul, le skateboard symbolise cette fracture entre la jeunesse ukrainienne et ce passé soviétique qui les poursuit inlassablement et les entraîne dans un conflit d’un autre temps. Même la composition des routes leur rappelle la situation: ce sol rugueux qui les empêche est résolument tourné vers l’Est et son passé soviétique. Ici, on voudrait bien passer à l’Ouest. Mais à l’heure de la guerre, les hommes de 18 à 60 ans ne peuvent pas quitter le pays.

Aujourd’hui, les anciens terrains de jeu sont devenus les nouveaux champs de bataille, et les skateurs ukrainiens qui ne sont pas au front livrent un tout autre combat : recréer des habitudes et des espaces de vie dans ce temps en suspens de la guerre, marqué autant par l’urgence que par un ennui qui s’étire indéfiniment.

Photographié à l’aide d’un appareil argentique des années 1990 (Xpan), ce travail donne à voir les temps morts d’une guerre qui a fracassé l’Europe à l’hiver 2022. Un pas de côté, qui délaisse la litanie des breaking news pour montrer comment le conflit reconfigure la vie au quotidien jusque dans ses aspects les plus triviaux. Le skate est ici plus qu’une prise insolite pour parler d’une jeunesse brutalement confisquée: les figures de ces adolescents apparaissent comme un acte de résistance et de créativité face à la violence imposée par la Russie. Le format panoramique, semblable aux dimensions d’un skateboard, figure cet horizon réduit, où la planche est désormais la seule ouverture: le temps de quelques tricks, ceux qui pourraient être des soldats échappent à la gravité.

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